samedi 23 avril 2011

"L'Ouroboros" occidental



En ce début de 21ème siècle, nous sommes témoins du souffle de changement qui s'abat délicatement et timidement sur notre ère récemment globalisée. Je dis bien ère, car ce concept englobe le tout, c'est-à-dire, toutes nos cultures, nos idéologies, notre système économique, nos politiques, nos guerres, nos révolutions.
Nous, qui pensons être à l'apogée de notre savoir, de notre évolution, en sommes devenus aveuglés. Alors que la façade dressée par notre éblouissante technologie, nos pubs, notre société de consommation -inlassable fabrique de rêves- une réalité nettement moins attrayante s'abat devant nous. Tout est contaminé, l'air, les océans, la terre, même l'humain...
C'est au moment où nous observons à l'horizon les quelques prémisses de la transition d'une ère à une autre -le passage de l'ère industrio-technologique à l'ère de la high-tech écologique- que le monde tel que nous le connaissons prend son dernier souffle. Et, comme pour toute ère en voie d'extinction, des mécanismes d'auto-préservation entrent en jeu afin de la pérenniser.   
Quelle forme ces mécanismes prennent-ils? Il est difficile de prendre du recul par rapport à notre propre époque, pire encore dans un contexte aussi éclaté que celui du monde virtualisé dans lequel nous vivons. Pourtant, malgré l'imbrication sournoise de l'officiel et de l'officieux, certaines choses finissent peu à peu par faire surface. 




Nous sommes nombreux, à mon avis, à partir du constat que nous vivons dans un monde dirigé par des États-nations, sous une supervision rarement effective de quelques organisations internationales, principalement l'Organisation des Nations Unies (ONU), utopie concrétisée d'après guerre mondiale. C'est notamment ce que j'ai pu apprendre en droit international: seuls les Etats-nations sont considérés comme des acteurs -par opposition aux sujets que sont les individus, organisations et sociétés privées- avec une exception d'ordre jurisprudentielle que sont les organisations internationales (intergouvernementales). Mais, tout comme nous, individus, peuplons un Etat et avons le pouvoir de peser sur les décisions de celui-ci, les sociétés commerciales le font tout autant, voire plus. Et dans un monde où l'argent est devenu la loi ultime, où certaines sociétés, devenues des corporations et détenant certains monopoles criants (Adam Smith se retourne dans sa tombe que Dieu le préserve), le terme de "gouvernance mondiale" apparait comme la meilleure ruse de ce début de siècle. Celle où des soit disant "sujets" influencent, voire corrompent les "acteurs", et ce, au sein d'organisations internationales, elles-mêmes devenues actrices (et dirigées parfois par d'anciens professionnels de professions libérales, telles que des avocats d'affaires,  des médecins, certains businessmans, etc...). 





En effet, c'est par le biais de ce terme que la plupart des sociétés, par un travail de lobbying efficace réussissent à s'accaparer du rôle de décideur, et donc d'acteur officieusement principal au sein des relations internationales. On en arrive ironiquement à une sorte de "multilatéralisme unilatéral" d'ordre économique, où les États cèdent aux intérêts des entreprises privées les plus imposantes, et ce, au sein de nombreuses institutions internationales comme le Fond monétaire international (FMI) ou encore la Banque Mondiale. Le danger se situe dans la dialectique où il est raisonnable de penser si la somme des intérêts particuliers (des profits envisagés, en réalité) fait bien l'intérêt commun. Et si celui-ci était autre? Disons, le bien être, la prise en charge de notre santé, de notre vieillesse, de l'éducation que l'on veut transmettre à nos enfants? Cet accaparement officieux du rôle de décideurs mondiaux par certaines corporations, au détriment des États et de leurs populations ne vient-il pas fausser tout le jeu démocratique que l'on n'a cessé de nous rabâcher dans nos cours d'éducation civique?




Ainsi, d'un monde aux rapports de force bipolaires partagés entre le bloc communiste et le bloc occidental lors de la Guerre Froide, nous sommes passés à un monde "unilatéraliste", sous l'hégémonie américaine (par le biais de la CIA), à un monde actuellement économiquement multilatéral, dont le pouvoir s'avère être partagé par trois grands, les Etats-Unis (en déclin, vu sa dette), la Chine (avec sa croissance économique vertigineuse), et last but not least, l'Union Européenne (avec la puissance de sa monnaie).
Effectivement, dans le monde de Crésus, où les indicateurs de la bourse semblent peser bien plus lourd que la vie de milliards d'êtres humains, l'indicateur d'ordre divin pour contrôler les Etats reste le produit intérieur brut (PIB) (en surplus de la notion de dette). Et le monde divisé en trois pôles, comme décrit dans la fiction de G. Orwell, 1984, assiste désormais à une "bataille mondiale multipolaire où c'est le marché géopolitique qui décidera du meneur du 21ème siècle, mettant en jeu plusieurs civilisations" (Le New York Times de mars 2011).
Mais lorsqu'on s'attarde sur le comportement de sociétés telles que Halliburton, ou même Areva, ne semblerait-ce pas légitime de douter de l'omni-pouvoir que semblent détenir les divers leaders des Etats-nations? Des sociétés privées aussi nombreuses et éclatées quelles qu'elles soient, seraient-elles capables de tirer sur les ficelles invisibles?
Quoi qu'il en soit, elles semblent néanmoins avoir un certain impact sur le déroulement des affaires, voire des relations internationales. Car c'est selon leur optique commerciale sauvage que les décisions majeures se font, sous la supervision, parfois bénédiction, d'organismes tels que l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International (FMI), l'Organisation Internationale du Travail (OIT) et tant d'autres. Certains comportent même leurs propres tribunaux internationaux.




C'est en constatant l'évolution de nos secteurs économiques que nous pouvons déceler la vraie tendance de notre monde. 
En Occident, et principalement en Europe, nous avons abandonné la majeure partie du secteur primaire (cf. article complet sur les secteurs économiques), (collecte et exploitation de ressources naturelles, matériaux et aliments). Après avoir exploité la majeure partie de leurs mines (charbon, uranium, etc...), la plupart des anciens pays colonisateurs (France, Italie, Pays-Bas, Belgique...) se sont installés dans leurs anciennes colonies (ou autres pays non colonisés) afin de pouvoir exploiter leurs ressources naturelles. C'est le cas par exemple de l'exploitation de l'uranium par Areva au Gabon et au Niger (anciennement COGEMA en France).
Or, cette pratique n'a d'autre nom que celui de néocolonialisme. Elle permet aux sociétés d'un pays dénué de ressources naturelles d'aller exploiter ces dernières ailleurs, et ce, sans aucune impunité ni considération pour les populations locales et l'environnement.
Après avoir abandonné le premier secteur, l'Occident a misé sur l'industrie lourde et tout le secteur secondaire (qui consiste en la transformation des matières premières). Cela explique encore le poids que représente par exemple l'industrie automobile dans les économies américaines et européennes. C'est pourtant un secteur qui a connu une crise sans précédent, et qui a eu un impact direct sur ses salariés. Évolution des technologies, standardisation, automatisation des ouvriers non-qualifiés et globalisation obligent, ce secteur a été récupéré avec succès par des pays autrefois dits "émergents", tels que la Chine ou l'Inde.




Il s'agit bel et bien d'une crise étant donné qu'à partir des années 1990 on a commencé à assister à des délocalisations de masse et à des évasions fiscales importantes des sociétés occidentales. L'attractivité de la main d'œuvre très bon marché ainsi que l'absence (ou la souplesse) de normes écologiques ont été des éléments déterminants dans le choix de se délocaliser vers ces pays.
Au jour d'aujourd'hui, cette tendance est telle, que l'illustration du problème pourrait se réduire à l'exemple du secteur du textile, afin de le rendre intelligible à tous. La majorité de nos vêtements sont produits en Chine, et comme nous le savons tous, les conditions des salariés qui les produisent sont loin d'être idéales. En effet, leurs salaires sont maintenus très bas (même lorsque l'on tient compte du niveau de vie local), la cadence de leur travail n'est pas toujours prise en compte, les accidents du travail ne sont pas forcément pris en charge, et certaines sociétés (Nike en ligne de mire) n'hésitent pas à employer des enfants.




En caricaturant on en arriverait à dire que nos sociétés commerciales (et ce n'est plus une spécificité occidentale), par soucis de faire le moindre profit, se délocalisent, et créent du chômage de masse chez eux, payent le moins d'impôts possible (et donc contribuent nettement moins qu'ils le devraient à la préservation des systèmes sociaux), pour embaucher des personnes qu'ils rémunèrent comme des semi-esclaves, et embauchent impunément des enfants, sans prendre en compte le développement du bien être des populations, voire leur décence. Vous pouvez me traiter de candide, me sortir des arguments cyniques d'une logique machiavélique imparable, mais il y a tout de même des limites. L'Histoire nous apprend bien une chose, il existe des actes barbares, et ils ne cesseront peut être jamais, mais tout au long de l'existence de l'humanité, des personnes ont également su dire non. Sinon nous serions tous esclaves aujourd'hui. Ce qu'il est important de souligner ici c'est que l'Occident n'est désormais plus compétitif dans ce secteur, salaires minimums, impôts sur les sociétés, législations garantissant la décence humaine étant perçus comme des obstacles aux moindres profits. Total en est l'illustration la plus extrême, dans le sens où il s'agit de la première entreprise du Cac 40 (compte tenu de ses bénéfices annuels) et que celle-ci ne paye aucun impôt sur les sociétés (cf. un article incontournable, http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/pourquoi-le-cac-40-paye-moins-d-impots-que-les-pme_212956.html).  




Sans vouloir paraître "occidentalo-centrée", je reviens tout de même sur la solution de secours de l'Occident suite au phénomène de délocalisation massive de son secteur secondaire, et parallèlement de la mise en concurrence de celle-ci, le développement du secteur tertiaire.
Lors des trente glorieuses, ce secteur s'est avéré vraiment prometteur. Dans les années 1960 on a même développé un concept fort intéressant, celui de capitalisme cognitif, la promesse du développement ultime du secteur tertiaire. C'est en investissant dans les idées que l'Occident deviendrait des plus compétitifs, ouvrant ainsi un secteur nouveau où il détiendrait initialement un certain monopole.
Pourtant, l'aspect innovateur du secteur tertiaire fût très vite accaparé par les nouveaux pays industrialisés d'Asie (NPIA), laissant à l'Occident la facette obscure de ce même secteur. Ainsi, ce sont les travaux précaires qui ont prévalu dans le tertiaire: tout le domaine touchant aux services (par exemple les caissiers, les vigiles...) 
La question suivante se pose: comment l'Occident (d'un point de vue étatique) compte-t-il conserver une certaine hégémonie alors qu'il se base sur une compétitivité dans des secteurs où son pouvoir est dépassé (étant hors compétition avec les autres pays)?
Nous baignons tout de même dans une situation bien insolite où des sociétés considérées comme sujets, composées en corporations -dépassant pour certaines le PIB d'un État-, finissent par définir elles-mêmes les règles du jeu international, au détriment des nations dont elles sont issues.



C'est là où le secteur quaternaire entre en jeu. Il existe déjà, dispersé en quelques prémisses bien discrètes. Ce dernier incarne notamment une facette du capitalisme cognitif, mais il va bien au-delà. Le secteur quaternaire regroupe toute l'industrie high-tech (technologie informatique, aérospatiale, bio-industrie) ainsi que les services les plus sophistiqués (médecine de pointe, ingénierie financière, recherche et éducation de pointe). L'Occident, s'il tient à préserver son hégémonie économique a tout intérêt à investir massivement dans ce nouveau secteur, et de créer un  nouveau marché mondial, où il détiendrait à nouveau un début de monopole, qui se dissipera progressivement lorsque les autres nations entreront dans le jeu.
En effet, le problème a déjà été traité à plusieurs reprises au niveau communautaire. C'était déjà le cas, par exemple, lors de la conférence sur la stratégie de Lisbonne les 15 et 16 juin 2001. D'autres propositions plus récentes font l'objet de débat, comme c'est le cas du Green Deal.
Essayer de subsister dans les trois premiers secteurs se traduirait par un suicide pour l'Occident, où son acharnement s'illustre par des guerres et une escalade dangereuse vers une multiplication de conflits dispersés partout dans le monde, et de manière anarchique (par opposition à la Guerre Froide où deux blocs menaient les guerres). Les ressources fossiles dont il dépend en sont souvent la cause, c'est la manière pour l'Occident d'être compétitif dans le secteur primaire. La précarisation de sa population résulte, elle, de son acharnement à la fois dans le secondaire (le chômage, conséquence des délocalisations) et dans le tertiaire (emplois sous qualifiés, contrats à temps partiel imposés...).




Il est tout de même étrange de constater que les politiques occidentales s'acharnent à rester compétitives dans des secteurs où elles sont dépassées, alors qu'elles pourraient décider, tel que cela a été le cas avec le New Deal à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, d'un plan économique structurel global, misant sur une combinaison inédite entre high-tech et écologie, s'érigeant ainsi en tant que leader d'un nouveau marché international. Les lobbies sont-ils si fortement imbriqués dans le système pour empêcher toute "dérive" vers un tel progrès?    

Elimina Kirsch

2 commentaires:

Vigilance Informative a dit…

Je vous invite à lire ce livre fort intéressant qui traite de la question des différentes "ères" de l'humanité dans l'histoire.

http://livres.fluctuat.net/ronald-wright/livres/la-fin-du-progres/

Bonne lecture.

Elimina Kirsch

Vigilance Informative a dit…

En complément d'article...

http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rdh2010/resume/